Dimanche 2 avril 2017, le groupe interreligieux d’Hyères organisait une table ronde à la salle Familia sur le thème de la prière dans les trois religions monothéistes en France. Plus de 120 personnes, juifs, chrétiens ou musulmans étaient réunis dans une ambiance conviviale nourrie d’une écoute mutuelle et d’un dialogue bienveillant.
Et si la prière n’était pas finalement le propre de l’homme ? Voilà bien une question que la plupart d’entre nous s’est posée en écoutant les bonnes paroles de nos quatre intervenants lors de cette rencontre hors du commun.
Après un rapide tour de table de présentations, Denis Gril, imam et professeur émérite à l’université d’Aix-en-Provence, se lance et éclaire son auditoire sur les rites de l’islam. Comme les chrétiens et les juifs, les musulmans croient en un seul Dieu (Allah). Leur livre sacré est le Coran et leur lieu de culte, la mosquée. Ils respectent les cinq piliers de l’islam : la profession de foi (la chahada), le jeûne (le ramadan), l’aumône (la zakat), le pèlerinage à la Mecque (le hadj à faire au moins une fois dans sa vie) et la prière (la salât). En effet, le fidèle musulman doit prier cinq fois par jour, toujours en direction de la Mecque (Arabie saoudite) et à des heures déterminées. Il lui est proposé d’accomplir sa prière seul, non comme une invocation libre, mais plutôt en se conformant à un rituel précis. Il exécute alors des gestes fixés par la tradition musulmane. L’attitude du priant est aussi importante que la parole. Car les deux notions sont intimement liées. Son geste est un complément de son discours qu’il renforce et rend plus efficace.
Se souvenir de Dieu
Dans l’islam, la prière est vécue comme une supplique. Tel un naufragé qui livre sa détresse à Dieu (invocation du prophète Jonas), c’est un acte d’adoration, mais aussi de repentance. Il n’y a pas de meilleure manière d’implorer que la louange. Réciter les versets du Coran permet au priant de le faire sortir des ténèbres vers la lumière. « Parfois, Dieu nous supplie bien plus que nous le supplions », nous dit Denis Gril. Et l’imam va plus loin, il illustre son propos par le récit de la rencontre de Moïse devant le buisson ardent. Dans ce verset, Dieu dit au prophète : « C’est moi ton Seigneur, ôte tes sandales et écoute ce qui est révélé ». Prier nous aide à nous souvenir de Dieu, à accepter qu’il est une présence divine et que sa miséricorde finit toujours par l’emporter. Notre foi est professée et Dieu sait que nous en avons besoin, car l’homme est oublieux …
L’oxygénation de l’âme
« Mais comment parler de ma rencontre avec le Très-Haut si j’ai autant de mal à rencontrer l’autre ? » s’interroge Gilles Rebêche, diacre à la cathédrale de Toulon. « La prière, dit-il, est une respiration, une oxygénation de l’âme, sans celle-ci, on s’essouffle … ». Chez les catholiques, la façon de prier est d’ordre trinitaire (Père, Fils et Esprit Saint en un seul Dieu). Dans cette religion, il existe un ministère de la prière : la prière des heures. « Il y eut un soir, il y eut un matin » (Livre de la Genèse). Ce rythme intérieur fait sortir le chrétien du chaos et de son monde. Dans ce moment de solitude, il est au silence et à l’écoute de Dieu.
Mais que cela est difficile … Toutes religions confondues, nous avons plutôt tendance à dire de nos jours : « Ecoute Seigneur, ton serviteur parle » et non plus, « Parle Seigneur, ton serviteur écoute ». Dans nos esprits si occupés et préoccupés, la prière permet pourtant de se retrouver soi-même, de faire un coeur à coeur avec le Très-Haut. Gilles
Rebêche rappelle qu’elle est intériorité : « l’important est de se rendre disponible, creuser sa source qui est en nous pour donner aux autres ce qui déborde. »
Ensemble en communion
Dans l’Eglise, il y a trois figures de la prière qui représente ainsi la diversité des hommes sur la terre. Pour Marthe (Jean 11,21), c’est une « prière de reproches qui rapproche », pour Marie (Jean 11,28) c’est la prière d’adoration, de joie et de contemplation. Quant à Lazare (Jean 11,44), il renaît à la vie et sort du tombeau pour rejoindre le Christ, c’est l’exode intérieur. Comme les musulmans, les chrétiens prient en communauté et la messe dominicale demeure une prière de louange. Le fidèle passe de la plainte à l’action de grâce. L’étymologie même du mot « hostie » (pain consacré donné aux fidèles lors de l’Eucharistie) traduit ce cheminement spirituel. D’un premier abord hostile, le priant devient alors hospitalier.
Dans la tradition juive, elle aussi, la communauté fait force. Chacun est relié à elle, à l’image d’une échelle humaine. « Les uns sur les épaules des autres », explique Yaël Gronner, professeur en judaïsme et coach en entreprise, « si tu t’extraies de celle-ci, tu la fragilises et tu fragilises tes semblables ». Trois fois par jour, assis ou debout, le juif implore Yahvé, tourné vers Jérusalem. Longtemps transmise par voie orale, la religion hébraïque a, comme livre sacré, la Torah. Depuis ses origines, les juifs se rassemblent en groupe pour mieux se recueillir. « Si dix hommes prient ensemble, Dieu est parmi eux, récite Yaël Gronner. Dans notre communauté, nous avons un grand besoin de nous re(trouver) les uns les autres. Nous obéissons à la Loi dictée à Moïse. nous sommes un peuple, et tout seul, nous ne nous suffisons pas ».
Intériorité, mémoire et lien avec son prochain, la prière est-elle pour autant la panacée de tout croyant ? L’humanité la pratique depuis sa création et elle nous unit quelles que soient nos aspirations religieuses. Dans un sourire, Christian Badet, pasteur de l’Eglise protestante de Hyères-Toulon, nous interpelle : « Quand on en arrive à ce stade-là, tous les quatre (Yaël, Denis, Gilles et moi), qu’est-ce qui nous différencie vraiment ? L’essentiel est dans un coeur brûlant, me souffle le Seigneur».
Maylis de Tarlé