« Et alors, avec tout ça, tu es toujours catho ? »
J’ai devant moi l’image d’une bataille navale, dans laquelle le navire Eglise est attaqué de toute part, aussi bien par d’autres navires, que par la tempête et l’obscurité qu’il traverse ; le navire doit également éviter des écueils ; l’eau passe finalement par-dessus bord et voilà que l’on découvre qu’en plus – dans la cale – certains membres d’équipage s’amusent à faire des trous pour que le naufrage soit plus rapide… C’est cette image que j’ai à l’esprit depuis quelques semaines, alors que nous sommes – comme Eglise – sous les feux des projecteurs pour des scandales à répétition. Ce ne sont pas d’abord des attaques extérieures que l’on subit : ce sont des sabordages, organisés de l’intérieur.
Une paroissienne me confiait qu’à un dîner, une amie athée lui jeta à la figure : « Avec tous ces scandales, tu te dis encore catho ? Tu ne crois pas que la mesure a été dépassée ? Après les révélations sur les scandales pédophiles de masse à Boston, en Irlande, en Australie, au Chili, maintenant en Pennsylvanie ; le Cardinal Barbarin et la pétition lancée par un prêtre ; le dossier de l’ancien nonce à Washington sur le Cardinal Mc Carrick qui met en cause le pape lui-même, et pour finir le mot du pape dans l’avion sur l’aide psychologique aux familles affrontées à l’homosexualité de leur fils… ça fait vraiment beaucoup, tu ne crois pas ? Tu veux vraiment rester catho ? »
Beaucoup dans et hors de l’Eglise sont troublés ces derniers temps. Comment réagir face à ces vagues de révélations, d’articles et d’enquêtes, toutes plus insupportables et révoltantes ? Voici cinq attitudes essentielles pour avancer.
1) Première attitude : la lumière – regarder la vérité en face, dénoncer le mal et être lucide. Comme chrétiens, nous ne pouvons pas nous cacher derrière notre petit doigt et faire comme si ces attaques venaient de l’extérieur : ce sont des prêtres, des religieux, des chrétiens engagés – des membres de l’équipage – qui ont commis des crimes. Une erreur monumentale fut dans le passé de minimiser ou de cacher cette évidence. Nous devons au contraire affronter la vérité, la regarder en face, dénoncer ces crimes et nous mettre résolument du côté des victimes, de leurs familles, sans chercher à protéger l’institution ou à nous travestir en victimes. Le pape François disait sa « honte pour toutes les fois où nous, évêques, prêtres, personnes consacrées avons scandalisé et blessé l’Église », lors du Chemin de Croix en 2017. Oui, soyons francs : nous pouvons éprouver de la colère et de la honte. Ce sont des vies, des familles qui ont été détruites, blessées à jamais, et gravement.
2) Deuxième attitude : se former, s’informer et agir. Un travail d’information est à poursuivre pour prévenir de nouveaux crimes, ainsi qu’un travail de formation et de sélection dans les séminaires, mais aussi pour les éducateurs, les jeunes et les chrétiens eux-mêmes, un travail sur les procédures très strictes concernant les cas qui pourraient être révélés… Et reconnaissons-le, en ce domaine l’Eglise catholique a entamé un chantier énorme, plus que bien des institutions où ces actes ont été commis.
Mais il faut également se former pour bien distinguer les sujets. La tentation est grande pour beaucoup de penser, par exemple, que le célibat sacerdotal conduit à la pédophilie : or plus de 90% des crimes pédophiles ont pour cadre le cercle familial. Ce n’est pas parce qu’on est célibataire que l’on devient pédophile : la pédophilie est une perversion mentale qui conduit à chercher à s’engager dans des métiers d’éducation où l’on approche des enfants. Ne mélangeons pas les choses.
3) Troisième attitude : ne s’étonner de rien. Mon ancien supérieur de séminaire disait en plaisantant : « Si l’on vous apprend que le pape est parti se marier avec la reine d’Angleterre, ne soyez pas étonnés… Car tout est possible ! ». Partout où il y a de l’homme, dit-on, il y a de l’hommerie. Cela fait 2000 ans que ça dure, et ça durera autant que dure le monde. Dans l’Eglise, il y a toujours eu, et il y a aura toujours, des scandales, des abandons, des ratés, des échecs ; il y aura toujours le bon grain et l’ivraie. Jésus avait prévenu ses disciples : « Il est inévitable qu’il y ait des scandales, mais malheur à celui par qui les scandales arrivent » (Lc 17,1). Et c’est d’ailleurs pourquoi « L’Eglise a toujours besoin de se renouveler, parce que ses membres sont pécheurs et ont besoin de conversion » (pape François, 2013). L’Eglise a déjà traversé bien des crises et des épreuves : périodes de crises à l’intérieur (on a parfois l’impression que les membres de l’équipage font tout pour faire couler le bateau). Mais aussi périodes de persécutions à l’extérieur (pensons aux millions de chrétiens inquiétés, emprisonnés, tués aujourd’hui pour leur foi). La survie de l’Eglise depuis 20 siècles est un vrai miracle !
Le Cardinal Ratzinger écrivait : « En vertu du don du Seigneur, don jamais repris, l’Église continue à être celle qu’il a sanctifiée, en qui la sainteté du Seigneur se rend présente parmi les hommes. Mais c’est toujours vraiment la sainteté du Seigneur qui se fait présente ici, et il choisit aussi et justement les mains sales des hommes comme réceptacle de sa présence. C’est là l’aspect paradoxal de l’Église, en laquelle le divin se présente si souvent dans des mains indignes. […] La déconcertante association de la fidélité de Dieu et de l’infidélité de l’homme, qui caractérise la structure de l’Église, est l’aspect dramatique de la grâce. […] On pourrait aller jusqu’à dire que l’Église, justement dans sa paradoxale structure de sainteté et de misère, est la représentation de la grâce en ce monde ».
4) Quatrième attitude : l’espérance. Au milieu de la nuit et des épreuves, la tentation principale, c’est la désespérance, le découragement, l’envie de claquer la porte et de partir, ou, au contraire, de faire la sourde oreille, de faire « comme si tout allait bien ». Dans son premier texte majeur, le pape François écrivait : « Les maux de notre monde – et ceux de l’Église – ne devraient pas être des excuses pour réduire notre engagement et notre ferveur. Prenons-les comme des défis pour croître. En outre, le regard de foi est capable de reconnaître la lumière que l’Esprit Saint répand toujours dans l’obscurité, sans oublier que « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20). Notre foi est appelée à voir que l’eau peut être transformée en vin, et à découvrir le grain qui grandit au milieu de l’ivraie (…) Même si nous éprouvons de la douleur pour les misères de notre époque et même si nous sommes loin des optimismes naïfs, le plus grand réalisme ne doit signifier ni une confiance moindre en l’Esprit ni une moindre générosité (…) Notre douleur et notre honte pour les péchés de certains des membres de l’Église, et aussi pour les nôtres, ne doivent pas faire oublier tous les chrétiens qui donnent leur vie par amour » (Evangelii Gaudium, 84 et 78).
Nous sommes parfois choqués, sonnés même ; mais ne nous laissons pas décourager. Résistons à la tentation de perdre notre dynamisme intérieur.
5) Cinquième attitude : la conversion personnelle. Si tu veux que les choses changent, commence par toi. En suivant Saint Augustin « Ne dites pas, les temps sont mauvais, soyez bons et les temps seront bons ». Chacun de nous est responsable de la conversion de l’Eglise. Nous sommes acculés, en Occident en particulier, soit à disparaître, soit à être saints. Soyons très honnêtes avec nous-mêmes. St Philippe Néri faisait cette prière étrange mais tellement lucide : « Seigneur, méfie-toi de moi aujourd’hui… Si tu ne m’aides pas Seigneur, avant ce soir j’aurai commis tous les péchés qui se peuvent commettre ». Nous ne sommes pas meilleurs que les autres ; mais reconnaissons que sans tomber dans des crimes aussi affreux, nous pouvons être de vrais contre-témoignages, des « scandales » pour les autres, par notre tiédeur, nos disputes, notre médiocrité. Dieu « veut que nous soyons saints et il n’attend pas de nous que nous nous contentions d’une existence médiocre, édulcorée, sans consistance » prévient le pape François dans Gaudete et Exsultate. Nous sommes provoqués à la sainteté : comment l’intégrons-nous dans notre vie chrétienne ?
Soyons donc très lucides, très humbles, mais aussi plein d’espérance et de courage. Ce n’est pas nous qui menons la barque – c’est le Seigneur. Et en dépit de nos chutes, de nos échecs, de nos errances, le Seigneur sait où il veut nous conduire. De nous dépend seulement l’ouverture du cœur et l’offrande de notre vie.